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Décryptage

Investissement ESG, ISR : impact positif pour l’environnement ?

par Stéphane PERRIN - le 05/02/2022

Vous n’avez surement pas pu échapper à la mode de l’investissement ESG (basé sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) ou ISR (investissement socialement responsable). Derrière ces acronymes se cache la promesse d’un investissement plus durable et meilleur pour la planète. L’est-il vraiment ? Encore un concept marketing de plus ?

L’idée de cet édito m’est venue à la fin de l’année dernière lorsque le fils d’un client, jeune ingénieur urbain que l’on appellera Thomas m’appelle pour me demander comment faire fructifier l’épargne accumulée pendant cette année de confinement.

Comme beaucoup de jeunes de sa génération, Thomas est sensible au thème de l’écologie, il souhaite donner du sens à son investissement et a entendu parler des investissements labélisés ESG. Pour lui, investir dans l’ESG, c’est avant tout avoir un impact positif sur l’environnement. Comme il a peu d’épargne, il souhaitait connaitre mon avis sur deux ETFs (Les Exchange Traded Funds (ETF), qui offrent un moyen simple d’investir. Les ETF sont des fonds de placement dont l’objectif est de répliquer les performances d’un indice donné) qui en plus d’être ESG ont « cartonnés » en 2020 dixit Thomas. Ces ETF sont deux des plus gros ETF ESG au monde commercialisés par le leader mondial des ETF : ISHARES (filiale du géant Black Rock) et par LYXOR (filiale de la SG).

N’aimant guère les effets de mode d’un monde de la finance toujours aussi moutonnier et voulant apporter l’avis le plus pertinent à Thomas, j’ai mené ma petite enquête que je vous partage aujourd’hui mes conclusions, dans un édito au format XXL mais qui je pense mérite votre attention.

Les ETFs en question sont le MSCI USA Select ESG, exposé aux valeurs américaines et le LYXOR S&P500 Paris-Aligne Climate (conforme aux accords de Paris sur le climat), belles promesses. Magnifique pour Thomas on coche tous les critères.

Curieux, j’examine la composition du premier le MSCI USA Select ESG, je découvre alors que les principales lignes sont APPLE, ALPHABET (google), HOME DEPOT, FACEBOOK et TESLA. Pour le second, APPLE, AMAZON, FACEBOOK, ALPHABET et NIVIDIA. Je me dis, c’est quand même surprenant de se retrouver avec ces valeurs quand nous connaissons les politiques d’obsolescence programmée des uns, de la violation de données personnelles des autres sans parler des abus de positions dominantes pour les derniers. Thomas pourrait investir directement sur un ETF Nasdaq (valeurs Tech US) il aurait le même portefeuille mais sans son label ESG et la bonne conscience qui va avec. Manifestement, la Tech a l’air de faire bon ménage avec l’ESG. De là à expliquer la surperformance de l’ESG en 2020… Mais chut, c’est un secret.

Maintenant que nous avons soulevé le capot de ces ETF ESG, vérifions si l’investissement de Thomas a un impact positif sur l’environnement comme le marketing le sous-entend. (L’aspect social et la gouvernance étant pour moi une obligation de base pour tout investissement de nos jours, je ne traite ici que de la promesse environnementale de l’investissement ESG).

Aussi, je vais essayer de mesurer l’impact environnemental valeur par valeur. Pour ce faire, je m’inspire largement du livre de Guillaume PITRON, « La Guerre des Métaux Rares », que je vous invite à lire absolument.

Les sociétés de gestion dans leur analyse des critères ESG (qui permettent d’inclure ou exclure telle ou telle valeur) se fondent sur l’histoire, un narratif souvent bien huilé, que leur racontent les sociétés analysées sans se préoccuper de ce qui se passe en amont chez leurs fournisseurs ou en aval après la vie du produit. Elles ignorent ainsi le parcours complet qui va de la production au recyclage, de l’extraction des matières premières aux décharges à ciel ouvert ; c’est comme si vous calculiez l’impact environnemental de vos vacances sans prendre en compte l’aller et retour de celles-ci ! N’est-ce pas là une première « escroquerie intellectuelle » ?

Ainsi, ces acteurs de la finance sont d’accord d’exclure sur le critère environnemental, (les fameux fonds à facteurs d’exclusion) les producteurs de matières premières (carbonés ou pas) avec comme argument leur impact sur la biodiversité et sur les populations. C’est tout à fait louable et entendable même si sans matières premières, nos économies n’iront pas très loin.

Mais n’est-ce pas choquant que ces mêmes fonds, ETF ….., adoubent des entreprises comme celles présentes dans les ETF analysés ?

En effet, aucune des Sociétés précitées a un impact positif pour la planète dès lors que l’on démonte la chaine de valeur de leurs produits. Que ce soient les biens technologiques, des IPhones d’APPLE au Cloud de Microsoft ou Amazon (la majorité des profits d’AMAZON venant de sa filiale cloud AWS) aux véhicules électriques et leurs batteries (TESLA), aux puces des producteurs de semi-conducteurs (ASML..) en passant par les énergies renouvelables (VESTAS, ORSTED..) (qui n’ont de renouvelable que les sources dont nous pouvons disposer à l’infini tels les rayons solaires ou la force du vent ou des marées), tous proviennent de l’exploitation de matières premières non renouvelables, qui ont un impact sur notre planète ; au final, peut-être bien plus impactant que l’extraction d’énergie fossile et l’exploitation nucléaire mais encore là chut …. « Avant même leur mise en service, un panneau solaire, une éolienne, une voiture électrique ou une lampe basse consommation portent le péché originel de leur déplorable bilan énergétique et environnemental. C’est bien le coût écologique de l’ensemble du cycle de la vie des Greens Tech qu’il faut mesurer » et cesser de fantasmer un miracle vert.

Le point commun de la révolution écologique et de la révolution numérique est que dans tous ces nouveaux biens produits, nous retrouvons des métaux notamment les fameuses terres rares.

Les terres rares désignent 17 métaux : le scandium, l’yttrium, et les quinze lanthanides. Ces matières minérales aux propriétés exceptionnelles sont utilisées dans la fabrication de tous les produits de haute technologie. On retrouve ainsi des terres rares dans les batteries de voitures électriques et hybrides, dans les LED, les puces de smartphone, les écrans d’ordinateurs portables, les panneaux photovoltaïques, les éoliennes…

 

Quel est l’impact de l’exploitation des terres rares sur l’environnement ?

Lors de l’extraction et du raffinage des terres rares, des éléments toxiques sont rejetés dans l’environnement : des métaux lourds, de l’acide sulfurique, et même de l’uranium. « La purification de chaque tonne de terres rares requiert l’utilisation d’au moins 200 metres cubes d’eau qui au passage, va se charger d’acides et de métaux lourds et se déverser dans les fleuves. En 1998, les Etats-Unis ont été contraints de fermer la mine à ciel ouvert de Mountain Pass, en Californie, après que des milliers de litres d’eau radioactive aient été accidentellement déversés dans la nature. En Mongolie intérieure, la radioactivité mesurée dans les villages près de la mine de Baotou serait 32 fois supérieure à la normale (contre 14 fois à Tchernobyl). A Baotou, capitale mondiale de la production de terres rares (100 000T y sont extraits soit 75% de la production mondiale), l’eau du fleuve Jaune est devenue radioactive et impropre à la consommation, le riz n’y pousse plus, les cancers se multiplient et « des enfants grandissent sans qu’aucune dent ne leur pousse ». C’est certes moins spectaculaire qu’une catastrophe nucléaire comme Fukushima mais les résultats sont pires et plus durables mais loin de nos regards et de nos centres villes, alors tout va bien.

Par ailleurs, les terres rares dégagent aussi une certaine radioactivité lorsqu’ elles sont séparées de leur minerai associé. (Et nous ne parlerons pas ici de notre dépendance, au moins à court terme, vis-à-vis de la Chine, principal fournisseur actuel de ces terres rares, ce n’est pas notre sujet !)

Revenons à nos moutons et nos stars de la cote que sont nos « Green Tech », chouchou de nos fonds ESG.

 

Une transition énergétique pas si verte

La transition énergétique passe par la multiplication de l’utilisation de panneaux solaires que nous retrouvons souvent dans ces fonds Green tel que First solar, Voltalia.. Le canadien Bernard Tourillon (CEO HPQ Silicon Resources) et ancien président d’URAGOLD qui produit les matériaux pour l’industrie solaire, a calculé l’impact écologique des panneaux solaires. Tenez-vous bien, la seule production d’un panneau solaire, du fait qu’il contient du silicium, génère, avance t’il 70kg de CO². Or, dopé par les plans de transition énergétique, on prévoit une augmentation de 23% minimum des installations solaires avec plus de 10 gigawatts/an. Cela représente 2,7 milliards de tonnes de carbone rejetées dans l’atmosphère soit l’équivalent de la pollution générée par l’activité annuelle de 600 000 automobiles. « C’est encore plus important lorsque ces panneaux fonctionnent à l’énergie solaire thermique. Certaines technologies consomment jusqu’à 3500 litres d’eau par mégawattheure, c’est 50% de plus qu’une centrale à charbon d’autant plus que généralement on retrouve ces fermes solaires dans des zones arides ou les ressources en eau sont rares » D’un coup, l’histoire de l’impact environnemental est beaucoup moins belle à raconter.

Je ne peux m’empêcher d’évoquer mon secteur de prédilection : l’automobile et la merveilleuse histoire de son électrification avec son champion iconique TESLA. En 2012, une étude de l’université de Los Angeles (UCLA) a tenté de comparer l’impact carbone d’une voiture électrique et d’une voiture thermique.

Premier enseignement, la fabrication d’une voiture électrique requiert beaucoup plus d’énergie que la voiture thermique. Cela s’explique par leur batterie lithium-ion, qui est très lourde. Ainsi sur une TESLA S, elle peut peser jusqu’à 600 kilos soit 28% du poids de la voiture, la moitié du poids d’une Clio ou 208.

Or les batteries lithium ion sont composés à 80% de nickel, à 15% de cobalt, à 5% d’aluminium mais aussi de lithium, de cuivre manganèse, d’acier de graphite (minerai qui faut extraire, je ne vais pas vous refaire l’histoire). Selon L’UCLA la seule fabrication d’une TESLA consomme trois à quatre plus d’énergie qu’un véhicule thermique. Au niveau du cycle de vie complet, par contre le véhicule électrique n’émet pas de CO² (sauf si vous recharger votre batteries avec de l’électricité carbonée, je suis taquin). L’université d’UCLA estime qu’une TESLA modèle S rejette 32 tonnes de carbone dans l’atmosphère de la production à sa fin de vie (on évalue encore mal le coup du recyclage que j’aborde dans un $ suivant) contre le double pour une voiture thermique. Vous me direz c’est déjà ça mais quand même assez loin de l’image idyllique que veulent nous dépeindre nos chers citoyens d’une certaine convention … Or cette étude, souvent présentée date de 2012, lorsque que l’autonomie des véhicules était de 120km en moyenne. Or aujourd’hui à l’heure de la démocratisation de la voiture électrique c’est la course à l’autonomie, à la puissance afin de rivaliser avec les voitures thermiques et conquérir les derniers sceptiques. Sauf qu’à ce rythme pour une voiture de 500Km d’autonomie, l’université calcule qui faut tripler le calcul précédent et qu’à ce stade la voiture électrique a un score carbone plus mauvais qu’une thermique équivalente.

 


Source ADEME

 

Le vrai bilan carbone des valeurs Tech favorites des fonds ESG

Heureusement il y a le digital, me dit Thomas, un peu choqué par ma présentation sur les Green Tech. « La dématérialisation est déjà synonyme de télétravail (encore plus en ces temps de pandémie) de commerce électronique, de stockage numérique (cloud) .. En utilisant moins de papier, ces technologies nous permettent de limiter la déforestation et les émissions de CO2 ».

Thomas a raison mais le digital nécessite l’exploitation de quantités considérables de métaux. « Chaque année la fabrication des seuls ordinateurs et téléphones portables (APPLE, SAMSUNG..) engloutit 19% de la production globale de métaux rares tels que le palladium et 23% du cobalt. Sans compter la quarantaine d’autres métaux contenus dans un IPhone. Pour vous donner une image, le poids de votre IPhone ne représente que 2% de la masse totale de déchets générés tout au long de la vie » explique Fabrice FILIPO (auteur du livre « la face cachée du numérique, l’impact des nouvelles technologies »). Sans vous parler de l’obsolescence programmée, véritable scandale qui en limitant la vie de vos batteries vous pousse à changer de téléphone, bon pour le business, catastrophique pour la planète et vous n’en conviendrez pas très ESG.

Les fabricants de semi-conducteurs (ASML, ON semi conductor, Nvidia..) sont souvent dans les fonds ESG. L’argument est qu’ils sont incontournables dans la transition énergétique actuelle. Certes, mais un exemple suffit, la seule fabrication d’une puce de 2 grammes implique le rejet de deux kg de matériaux soit un ratio de 1 pour 1000. On ne parle ici que de la production, l’activité numérique va générer une pollution supplémentaire et je n’ai pas encore évoqué la catastrophe du recyclage de ces circuits imprimés et autres puces.

Pour finir mon analyse et mesurer l’impact ESG de ce portefeuille, il me reste les stars de la cote, les FACEBOOK, AMAZON ALPHABET GOOGLE, MICROSOFT. Du très lourd quoi !

Pour illustrer cette industrie, je ne vous parlerai pas du pillage de nos données personnelles pratiquées par la majorité de sociétés citées, pas très éthique mais ça les critères ESG ont l’air de s’en moquer, THOMAS peut être pas !

L’excellent documentaire INTERNET « la pollution cachée de Coline Tison » (2012) suit le parcours d’un banal e-mail parti de votre ordinateur vers des hébergeurs nationaux puis internationaux puis qui passe chez l’hébergeur de votre messagerie (généralement aux USA GOOGLE, MICROSOFT, FACEBOOK.) puis finalement parvenu à son destinataire. Notre e-mail a parcouru 15000 km à la vitesse de la lumière. Une prouesse me direz-vous, un peu moins lorsque l’on sait que notre e-mail a été lu par une intelligence artificielle pour vous placer la bonne publicité et d’autres activités d’espionnage industriel moins louables mais là encore Chut…

Tout cela a un coût environnemental qu’a calculé l’ADEME, tenez-vous bien, « un e-mail avec une pièce jointe utilise l’électricité d’une ampoule à basse consommation allumée …pendant une heure », or chaque heure, ce sont dix milliards d’e-mails qui sont envoyés, soit 50 gigawatts, c’est à dire l’équivalent de 15 centrales nucléaires. Je vous laisse faire le calcul lorsque vous regardez une vidéo sur votre smart phone… Par ailleurs, l’activité du cloud (AMAZON, MICROSOFT, GOOGLE) est très énergivore, il faut refroidir ces énormes Data center. On estime qu’un seul Data Center consomme autant d’énergie qu’une ville de 30000 habitants », pire encore lorsque l’on sait que certains de ces data center fonctionnent avec de l’énergie issue d’une centrale à charbon comme le montre le reportage en Virginie occidentale.

Une étude américaine De Mark P Mills a estimé que le secteur des technologies de l’information consommait 10% de l’électricité mondiale et produisait chaque année 50% de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien. « Si le cloud était un pays, il se classerait au cinquième rang mondial en termes de demande en électricité » étude de 2013, chiffre à revoir à la hausse au vu la croissance exponentielle de nos usages numériques.

Toute cette analyse prend assez mal en compte le problème du recyclage des produits fabriqués par ces sociétés. Or c’est le point noir de la transition énergétique et celui qui aggrave le bilan environnemental de ces sociétés. En effet, les métaux rares ne sont pas utilisés seuls, c’est l’alliage entre eux qui permet de décupler leur fantastique potentiel. Malheureusement, ces alliages sont très difficilement recyclables et leur recyclage n’est pas économiquement viable. Au final, on se retrouve avec des montagnes de déchets électroniques que les sociétés occidentales s’empressent d’exporter en catimini vers des pays asiatiques (Inde, Bengladesh…) peu regardant sur la pollution et la santé de leur population. Sur ce point aussi, les gérants ESG croient béatement le narratif de ces multinationales vantant le recyclage vertueux de leurs produits.

 

Si nous voulons une finance plus responsable et répondre à l’attente de Thomas, il est urgent de renforcer les critères d’éligibilités des sociétés en prenant en compte l’intégralité du cycle de vie des produits, cela risque de réduire drastiquement la liste des valeurs éligibles. Arrêtons cette mascarade marketing qu’est l’ESG, n’y a-t-il pas une ironie tragique à ce que la pollution qui n’est plus émise dans nos centre-ville grâce aux voitures électriques, soit déplacée dans les zones minières où l’on extrait les terres rares. La solution n’est pas tranchée mais plutôt dans la nuance et actuellement la pensée unique du moment (et pas seulement dans ce domaine !) en manque cruellement. N’oublions pas que nous vivons sur la même planète et que la pollution n’a pas de frontière.

Stéphane PERRIN

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